Inédit Jan Carson

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Cette courte nouvelle de Jan Carson est inspirée de son séjour en résidence à Nancy. Traduite par Barbara Schmidt, elle est illustrée par deux étudiantes de Master : Laurence Emmanuel (M2 Mondes Anglophones) et Victoire Noé (M1 Bilangue-Biculture.

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Dessin Victoire Voice
@ Victoire Noé

The Voice is Verb as Much as Noun

The voice is verb as much as noun, inclined to move in time with the moment. It bends. It yields. Occasionally it breaks to fit the confines of time and place.

Here you are on the first of October, fresh off the bus, the plane and train, voicing yourself with a thick Antrim accent, all buttery vowels and soft consonants. In the restaurant off Place Stanislas you have French enough for your appetite yet when the waiter appears at the table, you lose all confidence in your voice. You resort to pointing at the menu. Your merci comes out like a cry for mercy, which is to say, it does not sound right.

Here you are in a Metz High School with students who’re trying on English voices. Quietly. Sweetly. Tentatively. You are discussing serious matters such as tea versus coffee and dogs versus cats. “Do you like dogs or cats?” they ask. You reply, “je n’aime pas les chiens et les chats.” They mumble dog. You say chien and blush when the word catches on your teeth. They spit out cat and you slur chat, resisting the urge to make a mouthful of that final T. They laugh at your French. You laugh at their English. Laughter’s a form of communication, probably superior to words.

Here you are with Antoinette visiting her pensioner’s flat. She speaks no English. Not a word. You force your voice into French and find yourself a little flat-footed but nonetheless capable of enquiring after her children and her childhood on a local farm. She loves pipe organs. So do you. You show her photos on your phone. You form a keyboard with your fingers. You do the pedals with your feet. Antoinette reaches for your hand. Story is not limited to voice telling. Story’s in every part of you.

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Dessin Laurence Voice 1
@ Laurence Emmanuel

Here you are amongst the books in the American library. You are easy here, between the shelves, where all the words sing to you in a voice you recognise. You are drawn to the familiar, circling the books you call old friends. You read Anna Burns and press your ear close to the pages trying to remember how Belfast sounds. It has only been two months but the sound of yourself is not quite as loud as it used to be.

Here you are just shy of Christmas walking through the Porte Saint-Georges en route to the big supermarket where you spend hours each week looking at cheese. There are a group of children in the tunnel, pitching their voices off the roof. They are singing French Christmas carols; the tunes so familiar you can work out the words. Their voices swell to fill the space. On the way home, armed with cheese, you fling your own voice into the echo. When it comes bouncing back, you can’t decide if it still sounds like you.

Here you are in January, sat in a room behind the Basilica with eight different people who voice themselves eight different ways. Each finds a language to carry their story. In French with English. In English with French. In some other language with hand gestures. On drawings pencilled on a page. In this room, with so many voices, your own is not a distinctive sound so much as a single note harmonising with the whole.

Here you are in the Harbour Airport East Belfast swimming through a sea of voices which sound like the memory of yourself. Here you are, one of many, no longer odd in the way you word. You wrap your arms round the people you love. You note the way they are different and also very much the same. You pain a little when they tell you, your voice is not what it used to be. You sound like someone who’s been shaped by all the voices they’ve listened to.

The voice is verb as much as noun, inclined to move in time with the moment. It bends. It yields. Occasionally it breaks to fit the confines of time and place.

Verbe et nom, telle est la voix

Verbe et nom, telle est la voix, encline à se transformer au rythme des moments. Elle s’incurve. Elle cède. Parfois, elle se casse pour s’ajuster aux confins de l’espace et du temps.

Te voilà le premier octobre, à peine sortie du bus, de l’avion et du train, t’exprimant avec un fort accent du comté d’Antrim, onctueux sur les voyelles et doux sur les consonnes. Dans le restaurant près de la Place Stanislas, ton modeste niveau de français te permet de commander à manger, mais quand le serveur se présente tu perds toute confiance en ta voix. Tu te résous à montrer ton choix sur le menu. Ton « merci », murmuré en français, ressemble à un cri de pitié en anglais – autant dire qu’il sonne mal.

Te voilà dans un lycée de Metz, en compagnie d’élèves qui testent leur voix en anglais. Doucement. Gentiment. Timidement. Tu parles avec eux de choses importantes : thé ou café, chat ou chien ? « Préférez-vous les chiens ou les chats ? » demandent-ils. Tu réponds : « Je n’aime pas les chiens et les chats. » Ils marmonnent dog. Tu dis chien et rougis quand le mot butte contre tes dents. Ils crachent cat et tu bafouilles chat, résistant à l’envie de ne faire qu’une seule bouchée de ce T final. Ils rient de ton français. Tu ris de leur anglais. Le rire est une forme de communication sans doute supérieure aux mots.

Te voilà avec Antoinette, à visiter l’appartement qu’elle loue dans une résidence autonomie. Elle ne parle pas l’anglais. Pas un seul mot. Tu forces ta voix à passer au français et te trouves quelque peu dépourvue mais malgré tout capable de demander des nouvelles de ses enfants et de la questionner sur ses jeunes années dans une ferme du coin. Elle adore les orgues. Toi aussi. Tu lui montres des photos sur ton téléphone. Tu formes un clavier avec tes doigts. Tu mimes les pédales avec tes pieds. Antoinette te prend la main. Une histoire ne passe pas toujours par la voix. Tout en toi est histoire.

Te voilà au milieu des livres de la Bibliothèque Américaine de Nancy. Tu te sens bien ici, entre les étagères, où tous les mots chantent dans une voix que tu reconnais. Tu te laisses attirer par ce qui t’est familier, tournant autour des livres que tu appelles tes vieux amis. Tu lis Anna Burns et presses l’oreille contre les pages pour te souvenir de la sonorité de Belfast. Cela ne fait que deux mois, mais ta sonorité à toi n’est plus aussi forte qu’avant.

Te voilà juste avant Noël à traverser la Porte Saint-Georges pour te rendre au grand supermarché où tu passes des heures chaque semaine à regarder le fromage. Des enfants font retentir leur voix sur les parois du tunnel. Ils chantent des chants de Noël français ; les morceaux te sont si familiers que tu en devines les paroles. Leurs voix s’amplifient, meublant tout l’espace. Sur le chemin du retour, armée de fromage, tu confies ta propre voix à l’écho. Lorsqu’elle se réverbère, tu n’es pas sûre de la reconnaître.

Te voilà en janvier, assise dans une pièce près de la cathédrale, entourée de huit personnes qui s’expriment de huit façons différentes. Chacune trouve un langage pour raconter son histoire. Dans un français parsemé d’anglais. Dans un anglais parsemé de français. Dans une autre langue, avec des gestes de la main. Au moyen de dessins couchés sur une feuille. Dans cette pièce, ta voix n’est pas un son distinct : c’est une simple note qui se fond harmonieusement dans l’ensemble.

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Dessin Laurence Voice 2
@Laurence Emmanuel

Te voilà à l’aéroport du port de Belfast, te frayant un chemin dans un océan de voix qui résonnent comme le souvenir de toi-même. Te voilà, noyée dans la foule, à nouveau en accord avec ta façon de t’exprimer. Tu enlaces les gens que tu aimes. Tu remarques qu’ils sont à la fois différents et finalement inchangés. Tu es un peu peinée lorsqu’ils te disent que ta voix n’est plus la même. Ta voix semble façonnée par toutes les voix que tu as entendues.

Verbe et nom, telle est la voix, encline à se transformer au rythme des moments. Elle s’incurve. Elle cède. Parfois, elle se casse pour s’ajuster aux confins de l’espace et du temps.

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Dessin Laurence Voice 3
@ Laurence Emmanuel