Jeudi 17 novembre, 18 heures, Hall du Livre à Nancy. Jan Carson est invitée à rencontrer son éditrice française Sabine Wespieser, ainsi que le parrain de la résidence ARIEL, Philippe Claudel.
Sabine Wespieser raconte sa première entrevue avec Jan lors d’une réception à l’ambassade britannique, tenue suite à un festival littéraire. Après ce récit, Jan lit en anglais le début du premier chapitre des Lanceurs de feu et son éditrice fait de même, mais cette fois-ci en français. Sabine Wespieser fait part du saisissement qu’elle a ressenti en lisant cet extrait pour la première fois.
Jan nous explique qu’elle utilise le genre de la nouvelle afin de faire ressortir des faits historiques. Philippe Claudel intervient et mentionne le fait qu’il a lu Les Lanceurs de feu, même s'il est frustré de ne pas pouvoir lire autant de romans étrangers qu'il le voudrait. Il dit être intéressé par l’Irlande et l’Irlande du Nord ainsi que par les nouvelles voix émergentes parlant d’un monde autre, qu’il ne connaît pas.
Les Lanceurs de feu est le premier livre de Jan Carson à être traduit en français. Ce livre est son quatrième roman mais il y a deux raisons pour lesquelles il a été traduit en premier. Tout d’abord, Jan a changé de maison d’édition britannique pour se rendre chez Penguin Books, maison plus influente et grande distributrice en Irlande, ce qui lui a permis de voyager et de participer à différents festivals. Par ailleurs, Les Lanceurs de feu a obtenu le Prix de la Littérature Européenne pour l'Irlande en 2019. The Fire Starters a été publié dans douze langues différentes et adapté pour la BBC. L’exemplaire qu’elle a avec elle est abîmé car elle l’a présenté dans plus de 650 événements.
Pour Sabine Wespieser, il est important de suivre les auteurs dans l’évolution de leurs écrits. Elle ajoute également qu’en France, les romans sont plus mis en avant que les nouvelles, et que c’est aussi pour cette raison que le roman de Jan a été traduit avant ses autres oeuvres.
Afin de créer ses romans, Jan écrit des « collections » de nouvelles qu’elle lie entre elles. Elle n’aime pas les romans centrés sur un ou quelques personnages : ils ont tendance à vite l'ennuyer. Pour elle, le monde réel n’est pas suffisant et elle s’échappe dans le fantastique en écrivant, même si elle ajoute qu’il lui faut tout de même un ancrage dans le réel. Philippe Claudel et Jan Carson utilisent tous deux des métaphores afin d’échapper à la réalité. Ils ont également chacun beaucoup d’imagination mais s’inspirent seulement ponctuellement du fantastique.
Dans le public, une personne demande à Jan quelles sont ses sources pour écrire ses romans et nouvelles. L’autrice mentionne Gabriel Garcia Marques, écrivain colombien, mais également sa ville, Belfast. Elle parle également des romans argentins qu’elle affectionne énormément et qui ont certaines choses en communs avec les problèmes politiques et sociaux en Irlande du Nord. Les jeunes femmes argentines écrivent de la science-fiction, du fantastique : elles parlent de faits contemporains avec recul.
En Irlande du Nord, le conflit est difficile et l’on ne sait pas s’il est réellement fini ; la majorité des irlandais pensent qu’il ne l’est pas, qu’il reste un héritage du passé. Le taux de suicide est haut dans le pays, et le conflit est ancré dans les mémoires.
Jan profite de son séjour en France pour écrire son prochain roman : elle a ce recul géographique nécessaire pour pouvoir traiter des faits et les retranscrire en récit. Pour elle, certains livres sont écrits avec trop de précipitation : écrire avec du recul change la perception des choses et de l’écriture, mais les deux choix restent convenables pour elle.
Pour l’éditrice, Sabine Wespieser, « un traducteur est pleinement un écrivain » car les bons traducteurs interprètent les textes brillamment. La traductrice française de The Raptures (à venir prochainement en français), Dominique Goy-Blanquet, présente elle aussi dans le public, explique qu’il était parfois difficile de faire ressentir les termes régionaux d’un pays et d’une culture qu’on ne connait pas, et qu’il est donc important de parler avec l’auteur afin de pouvoir traduire ses écrits de la meilleure façon possible.
La fin de la rencontre s’est concentrée sur la question de ce qui serait laissé aux enfants des personnes ayant vécu le conflit nord-Irlandais, la responsabilité de les empêcher de faire les mêmes erreurs que leurs parents, mais également la peur qu’ils deviennent mauvais et violents. Ces sujets sont traités dans Les Lanceurs de feu et en sont les thèmes principaux ainsi que celui du legs du trauma, mais aussi de la langue, cette dernière pouvant être utilisée pour faire du bien ou du mal aux gens, notamment avec l’usage de la rhétorique.
Ces questions de langue et de trauma sont également présentes dans The Raptures, dont l’histoire se passe en 1993 et exprime le traumatisme des enfants, tout comme Children’s Children, une des autres oeuvres de Jan Carson, inspirée de la Bible.
Le prochain livre de Jan Carson parlera des aspects positifs du langage, utilisé pour soigner les gens d’un groupe de soutien. L’autrice nous a fait part de quelques aperçus nous donnant envie d’en savoir plus. Cela nous permettra sans doute d’en apprendre davantage sur l’utilité positive du langage, qui de nos jours est souvent utilisé comme une arme délétère.
Clotilde Gougelin, M1 Langues et Sociétés et Pauline Dillenschneider, L1 Études Culturelles