22 octobre 2018
La dernière session de la journée d’études « Voix et Silence dans les Arts » du vendredi 19 octobre 2018 a été marquée par l’intervention de Mark SaFranko. Il a choisi de travailler sur l’une de ses pièces de théâtre en un seul acte qui traite d’un sujet d’actualité : le viol d’une jeune femme par son ancien compagnon qu’elle revoit une dizaine d’années plus tard alors qu’ils se rencontrent par hasard dans la rue. Ils décident d’aller prendre un verre et, après avoir abordé de nombreux sujets, ils reviennent sur leur relation amoureuse. Elle ose pour la première fois parler de « viol » pour nommer la relation sexuelle non consentante qu’elle a eue avec lui un soir, ce qui surprend et effraie son ex-copain qui n’avait pas pris conscience du sens de cette soirée pour elle.
Écrite il y a un an, en plein mouvement « me too », cette pièce de théâtre à la fois personnelle et universelle, intimiste et d’actualité a été lue, avec beaucoup de brio, par deux étudiants de Master 1 LLCER (Sydney Goeury et Anna-Salomé Panayidès) tandis que l’auteur lui-même lisait les didascalies. Cette pièce, très courte, jouée en une quinzaine de minutes, est construite autour d’un dialogue sans cesse rompu entre les deux personnages. Elle permet d’aborder la question du non-dit, de l’implicite, de la parole à moitié étouffée et pourtant en partie libérée par la distance du temps, de la dureté du mot « viol » enfin prononcé des années après. C’est une pièce ponctuée de silences très pesants, à la fois douloureux et très significatifs. Mark SaFranko a souhaité célébrer le pouvoir évocateur très puissant du théâtre qui est capable de favoriser une interprétation ou de brouiller toutes les interprétations possibles. Avec cette pièce, il voulait représenter une forme de brouillage du sens, aussi bien pour le personnage masculin que pour les lecteurs/ spectateurs. Pour cette longue scène il a imaginé un décor neutre et une absence de musique de fond afin que seuls ressortent les mots et le silence cryptique. Mark SaFranko s’inscrit contre l’idée d’un auteur omnipotent qui aurait toutes les clés de lecture de sa création. C’est à l’auteur ou au spectateur d’être actif et d’interpréter ce qui lui est donné à lire ou à voir. L’auteur se dit lui-même habité de nombreuses voix qu’il choisit d’écouter ou non, selon le temps imparti, mais chez lui, ces voix ne s’entrechoquent jamais en un bruit cacophonique. Elles sont nombreuses mais bien intelligibles et distinctes. La qualité d’un écrivain, pour Mark SaFranko, se juge à sa capacité à rendre le silence, comme l’auteur Céline par exemple qui l’a beaucoup inspiré.