Le mardi 9 décembre s’est déroulée la journée d’étude consacrée à Najwan Darwish, autour du thème « Les mille et une voix de Najwan Darwish : traumatisme palestinien, inclusivité et multiculturalisme ». La journée a commencé avec une prise de parole de Laurence Denooz et Céline Sabiron pour présenter Najwan Darwish et la résidence ARIEL, avant que le poète ne prenne la parole. Celui-ci a abordé, en arabe, le thème de l’interculturalité, en citant par exemple des auteur.e.s anglophones comme TS Eliot. Sa prise de parole s’est aussi tournée vers l’histoire de la poésie arabe, en rappelant les évènements historiques et mythiques et qui ont traversé le monde arabe et enrichi sa littérature. Enfin, un dernier thème discuté lors de sa conférence inaugurale a été celui de la poésie engagée, qu’il a liée avec le printemps arabe et la question du nationalisme. La richesse de cette conférence, que le public non-arabophone a pu comprendre grâce à Laurence Denooz et Hichem Ben Yedder, qui l’ont résumée en français, a alors mené à des discussions passionnantes sur la poésie entre le public et Najwan Darwish.
S’en est alors suivi le premier panel de la journée, « Najwan Darwish, du traumatisme de l’effacement à la résistance », dans lequel Laurence Denooz et Zahia Bridon ont abordé l’œuvre du poète à travers deux angles différents. Laurence Denooz a ainsi analysé la critique que fait Najwan Darwish du projet sioniste d’effacement des Palestinien.ne.s dans ses poèmes, et son désir de dénoncer tous les pouvoirs oppresseurs à travers le monde et les époques, en consacrant par exemple un poème au peuple arménien. Elle a conclu en désignant Najwan Darwish comme un poète luttant pour la justice sociale et dont l’engagement se veut inclusif, luttant contre les oppositions simplistes entre peuples. Zahia Bridon a ensuite abordé la question de la poétique du trauma, démontrant comment le traumatisme, ici palestinien, est une souffrance mais aussi un moteur de résistance. Elle a également fait l’analyse du langage de l’épuisement qu’on peut retrouver dans l’œuvre de Najwan Darwish, puis a poursuivi avec le concept de « pulsion d’archive », qui pousse l’humain à tout conserver face à une politique d’effacement. Enfin, elle conclut sa présentation en déclarant que la poésie de Najwan Darwish invite ses lecteurs et lectrices à réfléchir à la complexité de l’expérience palestinienne. Ces deux conférences passionnantes ont alors été suivies de questions de la part du public, menant à des échanges riches entre personnes issues de différentes disciplines académiques.
Après une pause, la journée s’est poursuivie avec un second panel intitulé « Poétique et sociologie de Najwan Darwish », modéré par Hilda Mokh. Antonio Pacifico a ouvert cette session en proposant une lecture sociologique de l’œuvre du poète, qu’il a décrit comme un acteur « multipositionnel » de l’aire littéraire arabophone. Il a montré comment Najwan Darwish occupe simultanément plusieurs espaces : poétique, politique, médiatique, et comment cette multiplicité de positions nourrit une écriture en constante tension entre engagement, réflexion critique et expérimentation formelle. La poésie de Darwish apparaît ainsi comme un lieu de circulation entre différents champs sociaux et culturels, refusant toute assignation univoque.
Mehmet Hakkı Suçin a ensuite proposé une analyse poétique de l’œuvre de Darwish à partir du recueil Words on the Gate of Jerusalem. Il a mis en lumière la manière dont le poète travaille la langue comme un espace de seuil, où se croisent mémoire, histoire et subjectivité. À travers une attention particulière portée au lexique, au rythme et aux images, cette intervention a souligné la dimension profondément dialogique de la poésie de Darwish, qui s’écrit toujours dans un rapport de confrontation et d’échange avec l’histoire et le territoire.
L’après-midi a été marqué par un nouveau temps fort avec le panel « Najwan Darwish, du poète au journaliste », modérée par Simon Dubois. Hilda Mokh y a proposé une lecture écocritique et écoféministe de l’œuvre du poète, montrant comment les images de la mer, du désert et de la nature deviennent des lieux de tension entre destruction, survie et résistance. Chawki Benhassan s’est, quant à lui, intéressé aux effets journalistiques dans la poésie de Najwan Darwish en analysant la manière dont formats médiatiques, savoirs et rythmes issus du journalisme irriguent son écriture poétique. Enfin, Hichem Ben Yedder a abordé l’écriture protéiforme du traumatisme chez Darwish, en mettant en relation ses textes avec des espaces géographiques multiples, du Brésil à la Palestine, et en soulignant la dimension transnationale de son œuvre.
La journée s’est ensuite tournée vers les enjeux de traduction avec le panel « Traduire la poésie de Najwan Darwish », modéré par Céline Sabiron. Ibrahim Badshah a présenté son travail de traduction de Darwish en malayalam, en réfléchissant aux enjeux de résistance et de transmission de la poésie palestinienne dans un contexte de génocide. Rania Bourra a ensuite eu l’occasion de présenter sa communication consacrée à la traduction du « je » instable chez Najwan Darwish, en analysant les phénomènes de polyphonie, de fragmentation et de déplacement multilingue dans ses poèmes. Roza Djedi a conclu cette session en s’intéressant aux effets des titres en poésie et à leur traduction, à partir d’une étude comparative de Taʿība al-muʿallaqūn et de ses traductions en plusieurs langues.
La journée s’est enfin achevée par une lecture musicale réunissant Najwan Darwish et le duo Raskovnik, composé de Charlène Ploner et Nicolas Arnoult. Ce moment de clôture a offert une autre manière d’entrer en résonance avec la poésie du poète, en faisant dialoguer texte, voix et musique, et en prolongeant les réflexions de la journée dans une expérience sensible et collective.
L’ensemble de ces rencontres a ainsi permis d’aborder l’œuvre de Najwan Darwish dans toute sa richesse et sa complexité, en croisant approches poétiques, sociologiques, politiques et traductologiques, et en soulignant la portée profondément inclusive et transnationale de son écriture
Maissane Nouari, M2 Mondes Anglophones
Rania Bourra, Doctorante en Traduction et Traductologie