Mark SaFranko featuring Nancy

Auteur lié
Mark SaFranko

 

27 Octobre 2018

Nancy est pleine de  surprises. Si on m’avait dit, quelques mois plus tôt, qu’un jour, j’aurais la chance de rencontrer un auteur américain qui m’est cher à Nancy, je ne l’aurais pas cru ! C’est comme imaginer David Vann, alaskien de surcroît, à Toulouse  ou Eve Babitz, flamboyante californienne, à Lille ! Mark SaFranko à Nancy c’est l’underground de la côte est à la rencontre de la Lorraine. Et puis le concept « d’auteur en résidence » me fascine. Traverser l’océan Atlantique, quitter temporairement son foyer, l’odeur familière des rues que l’on arpente, le tumulte new-yorkais, les clubs de jazz, laisser quelque temps derrière soi son habitus, ses préférences alimentaires ou autres madeleines de Proust enveloppantes pour dégringoler dans un hinc et nunc d’inconnu. Mais c’est bien là que réside toute la beauté du voyage : « plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau » (Baudelaire).

Et quel voyage ! Puisse Mark SaFranko emporter avec lui, au fond de ses bagages,  un bout des ruelles sombres de New-York, un peu de la sueur d’un écrivain s’éreintant sur sa machine à écrire, une odeur de pot d’échappement, le morceau d’âme d’un loser magnifique en quête d’absolu, le cri d’un chien, la flamme d’un incendie ravageur… Une part de l’underground américain en somme. Et qu’avons-nous à troquer en échange de cela ? Car oui, Nancy aussi peut avoir le feu sacré. Bien que le Totem ait fermé ses portes récemment, nous avons également quelques pots d’échappement et parfois se dégage encore ici ou là l’odeur du souffre. Et la beauté américaine est tellement différente de la beauté à la française. Ce matin à la radio, Jane Fonda, dans un français parfait, s’exprimait sur la beauté des toits de Paris et s’extasiait sur les façades feuillues de notre capitale. Cocorico ! Moi quand je suis allée aux Etats-Unis, c’est par le rapport au temps et plus encore à l’espace que j’ai fait l’expérience du « dérèglement de tous les sens » ; c’était aussi à travers un dîner,  un panneau de signalisation déglingué, une station service jetée au bord d’une route. La route est d’ailleurs si inspirante pour les écrivains américains : On the Road de Kerouac, The Road de Cormac McCarthy, Highway 61 Revisited de Bob Dylan (je le tiens pour un auteur à part entière, d’ailleurs l’Académie suédoise semble avoir eu la même intuition en 2016), Queen of the Highway des Doors (idem pour Jim Morrison, prix Nobel en moins)…

Mais revenons à ce que Nancy pourrait apporter à un auteur américain venu à sa rencontre. Pourrait-elle l’éblouir, voire faire naître en lui le fameux « syndrome de Stendhal », dont on raconte qu’il fut pris à Florence d’une forte crise d’hallucinations et d’émotions à la vue d’œuvres d’art ? Lui évoque des « sensations célestes » et des « sentiments passionnés ». Mark SaFranko feat. Stendhal… et why not ? La « sensation céleste » ne pourrait-elle pas advenir de notre fierté régionale, de notre si belle « Place Stan » et de sa blancheur immanente ? Mais à la blancheur de la Place Stanislas, Melville a répondu par « la blancheur de la baleine », peut-être le plus beau chapitre que j’aie lu de ma vie, ce chapitre 42… Alors, restent les pavés de la Place St Épvre ! Sauf qu’on m’a dit qu’à Boston ils étaient encore plus jolis ! Dans ce cas, invitons Mark SaFranko à l’Echanson, rue de la Primatiale, à déguster un bon verre de Julienas. Mais ce vin, du meilleur cru qui soit, est-il en mesure de rivaliser avec un fond de Southern Comfort on the rock, sublimé dans le passé par Janis (repris bien plus tard par… Francis Cabrel), à déguster, of course, calé au fond d’un fauteuil club en cuir ? That is the question ! Mon imaginaire me porte à croire que Mark SaFranko aime la bande dessinée, je me plais à le penser du moins. Allons alors faire un tour à La Parenthèse, située dans la bien nommée cour des arts. Mais que pourrai-je faire quand les yeux de Mark SaFranko se poseront sur le dernier Pénélope Bagieux, ce qui fera sortir des miens tous les personnages éberlués et défoncés de Robert Crumb ? Tant de gêne… Car oui, que voulez-vous, c’est comme ça, l’Amérique a enfanté des Robert Crumb, Charles Burns, Gilbert Shelton ou encore Daniel Clowes pour ne citer qu’eux. Donc c’est décidé, nous irons au FLO manger des fruits de mer et mettrons ainsi un terme à ce parallélisme hasardeux et qui a trop duré, puisque je ne trouve rien pour rivaliser de l’autre coté de l’Atlantique avec notre gastronomie. (Il n’aura échappé à personne que la proximité de l’Excelsior et de la mer est toute discutable, n’empêche qu’ici le homard, quelle que soit sa provenance, est excellent, même s’il est toujours moins drôle que celui d’Annie Hall !).

Sentez-vous dans ces quelques lignes comme une idéalisation du pays de Joan Baez ? Rassurez-vous, en toute mauvaise foi, j’en suis consciente. L’Amérique a ses travers, Nancy a ses trésors. « Bien sûr nous nous avons la Seine et puis notre bois de Vincennes » (Barbara), mais Dieu que l’Amérique est grande quand elle donne naissance au cinéma, quand elle fait un rêve et qu’elle s’affranchit de ses démons, quand des décombres d’une guerre elle fait danser les roaring twenties et naître le Great Gatsby. L’Amérique, comme un alchimiste, transforme le pire en or : le Dust Bowl et ce sont Les Raisins de la colère, aux traumatismes du Viet Nam fait écho un chef d’œuvre du cinéma, The Dear Hunter de Cimino, aux émeutes de Los Angeles répond, bien plus tard, l’hymne américain chanté par Beyoncé lors de l’investiture de Barack Obama, et nous pourrions énumérer les exemples à l’envi. J’attends secrètement que l’élection de Trump, l’horrible, provoque une explosion de créativité et révèle de nouveaux artistes.

Et vous, cher Mark SaFranko (je me permets à présent de vous interpeller), faites partie de ce pays plus large que long, et vous inscrivez, à mon sens, dans la grande lignée des Fante ou Bukowski. Vous qui, comme tout bon Américain, êtes un alchimiste et transformez les faubourgs de New York ou les allées du New Jersey en endroits propices à la rêverie et au déploiement du hasard et de ses possibles, vous qui parvenez à faire d’un chien un climax de tension narrative, vous qui faites la part belle aux invisibles de la grande pomme vivotant de petits jobs et de débrouille. Les éclopés du sud de Flannery O’Connor n’ont qu’à bien se tenir ! Vous, vous réinventez le superbe loser et vous vous payez même, comble du chic ou de l’élégance, le luxe d’avoir un alter ego littéraire. Vous êtes pop tout autant que neo-beat ou underground. Vous êtes tout ceci à la fois, comme Bob Dylan, en une seule voix, concentrerait tous les accents de l’Amérique. Nancy est chanceuse de vous avoir pour résident, et vous verrez, elle recèle de trésors cachés dans le sourire de ses habitants, dans leur accent traînant, dans la convivialité de qui reçoit… Have fun in Nancy, et peut-être que comme moi, aurez-vous remarqué qu’ARIEL, outre le fait d’être un très beau projet, est aussi le prénom que Walt Disney a choisi pour sa petite sirène. Comme quoi, tous les chemins mènent en…Amérique !

Camille Jolly, enseignante d’espagnol au LANSAD, Université de Lorraine.

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Collage Nancy-New York City