En cette pluvieuse matinée automnale du 20 octobre, l’auteure Jan Carson s’est rendue au lycée Louis de Cormontaigne de Metz, où elle a tenu trois interventions sur le thème suivant : grandir en Irlande du nord. Dans un PowerPoint pour nous expliquer son point de vue, sa première citation est la suivante : « Anyone born and bred in Nothern Ireland can’t be to optimistic. » (Seamus Heany)
D’un point de vue extérieur, lorsque l’on ne connaît pas bien l’histoire de ce pays, on se dit simplement que oui, en effet, ça a dû être dur de grandir dans un endroit où il y avait constamment des guerres de religion. Cependant, on ne se rend pas compte à quel point la vie de ces gens a été impactée, et surtout, comment des enfants ont pu grandir dans un endroit où des hommes lourdement armés patrouillaient constamment, et où les attentats à la bombes étaient le quotidien. A travers son récit, Jan nous livre un témoignage poignant de son enfance marquée par les violences et les morts l’entourant, nous faisant alors prendre conscience de la chance que nous avons eu de vivre dans un pays en paix.
Au cours de la matinée, elle a partagé avec nous deux anecdotes très touchantes. La première concerne son ancien patron, dont le père a été tué sur le pas de sa propre porte, devant les yeux innocents de l’enfant de 3 ans qu’il était. Simplement parce qu’il n’avait pas la même religion que les autres. L’homme qui a tué son père est allé en prison, mais lorsqu’un accord a été signé en 1998 pour rétablir la paix dans le pays, les gens emprisonnés pour avoir tué des innocents ont été libérés car « pardonnés pour leurs actes ».
Désormais, la nouvelle manière d’avoir le pouvoir sans passer par la violence physique est la politique. Le petit garçon de 3 ans a grandi et est devenu un membre du conseil de la ville. Chaque mois, lors d’une réunion pour parler de la ville, il s’assoit à la même table que l’homme qui a tué son père, alors devenu membre lui aussi, du conseil. Le pire dans tout cela ? tout le monde le sait. Il n’est pas le premier à avoir rejoint la politique et être pour autant, un ancien détenu. Ce qui explique que de nos jours encore, les tensions ne sont pas réglées. Mais comme Jan l’a dit lors de ses interventions, "not everything is bad in Nothern Ireland”.
La deuxième anecdote concerne un des ateliers qu’elle a faits il y a quelques années, dans une maison de retraite où catholiques et protestants sont mélangés. Au bout de la deuxième année, tout le monde se connaissant et étant plus à l’aise les uns avec les autres, ils ont décidé de parler de leur propre vécu durant les périodes de tensions. Une femme, protestante, avait écrit un poème adressé à son fils décédé à cause d’une bombe. Elle voulait le lire à toute l’assistance, et elle se tenait devant eux, tremblante d’émotion. A la deuxième phrase de son récit, elle s’est effondrée en larmes. Une femme a alors accouru jusqu’à elle, une catholique, pour la soutenir et l’aider à terminer son poème. Deux femmes, que tout oppose et qui sont censées se détester, se tenaient chacune dans les bras de l’autre, se soutenant. La femme catholique avait, quant à elle, perdu son mari, et comprenait la douleur que l'autre femme ressentait.
A travers cette anecdote, Jan veut faire passer un message : les façons de penser changent pas à pas. Aujourd’hui encore, malgré tout, seulement 10% des écoles en Irlande sont « mixtes », ce qui était inconcevable il y a à peine 30 ans. Il faut savoir que dans ce pays, tout est sujet à division, jusqu’au sport.
Pour Jan, qui est titulaire d’un passeport anglais et irlandais, sa propre identité est quelque chose avec laquelle elle a du mal : « Who am I? ». En revanche, elle se sent plus connectée à son côté irlandais, et nous a livré quelques opinions personnelles plutôt amusantes : “If you ask me, I think that Irish people are the funniest, the ones who drink the most, and the ones who love fighting the most. The difference with French people? Their style is way better.” Cette remarque a bien fait rire les élèves, et ça leur a également permis de repartir sur une note positive et amusante sur l’Irlande du Nord.
Trois personnes différentes ont accepté d’être interviewées, donnant leur point de vue sur l’intervention de Jan.
Un élève en prépa ingé :
"Son témoignage était vraiment très intéressant, c’est incroyable de se dire qu’elle a connu la guerre, les attentats à la bombe etc. Surtout, se dire qu’elle a réchappé à une bombe, c’est fou ! Et lorsqu’elle a parlé de cette femme qui, elle, a survécu à sept bombes, c’est inimaginable. J’ai vraiment beaucoup aimé son histoire !"
Une élève en terminale générale :
"Ce qui m’a vraiment touchée, c’est comment elle raconte son histoire. Elle est vraiment en colère contre son pays pour lui avoir fait croire, enfant, que c’était normal de vivre dans un endroit où des hommes avec des fusils étaient tapis dans l’herbe, et où il fallait ouvrir son sac avant d’entrer dans les magasins pour être sûr qu’il n’y ait pas de bombes dedans. Le choc culturel a dû être dur pour elle, lorsqu’elle est partie de son pays, et son point de vue est franchement hyper intéressant."
Et enfin, une professeure d’anglais originaire d’Inde, qui a particulièrement été touchée par son récit :
"En tant qu’Indienne, je me reconnais un peu dans son histoire. Les violences faites aux gens qui sont contre l’empire britannique, et inversement, qui sont pour, c’est tout un pendant de l’histoire qui résonne en moi. J’étudie l’histoire de l’empire britannique, et particulièrement comment il s’y est pris pour aller envahir tant de pays. Il y avait donc des similitudes et nous devons bien admettre que malgré nous, la violence fait partie de notre identité et de notre histoire, qu’on le veuille ou non."
L'intervention de Jan Carson a donc touché tout le monde. Ce fut une journée très enrichissante et Jan était ravie par l’enthousiasme des élèves et de leurs questions très intéressantes !
Chloé Barbier, M1 LECSI LEA