Interview de Mark SaFranko pour France 3 Grand Est

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Mark SaFranko

 

27 novembre 2018

Traduction d’une  interview menée par Anne-Laure Chéry, journaliste, pour un reportage France 3 Grand Est sur la résidence ARIEL et Mark SaFranko (diffusion prévue le mercredi 28 novembre 2018 vers 19h15 sur France 3 Grand Est). Interview filmée le lundi 12 novembre 2018 au café associatif La Chaouée à Metz, en amont de la rencontre à la librairie Atoutlire.

Pouvez-vous me parler de votre relation avec la France ? Vous êtes tombé amoureux du pays ? Comment êtes-vous arrivé ici ?

Je suis venu en France la première fois parce que certains de mes romans publiés au Royaume Uni avaient été découverts par un éditeur français, qui m’a fait une offre, à laquelle j’ai répondu positivement. Ensuite, je suis venu régulièrement et le gros de mon public se trouve aujourd’hui ici.

Le public français est donc également tombé amoureux de vos livres ?

Oui, je pense, ceux qui me connaissent, oui je crois.

Vous comprenez pourquoi ? Comment l’expliquez-vous ?

Une femme dans un petit village près de Besançon est venue me voir lors d’une intervention en bibliothèque et m’a dit : « Vous savez pourquoi on vous aime en France ? J’ai répondu non, et elle a ajouté : « Parce qu’on a l’impression que vous n’aimez pas les Etats-Unis. » C’était sa perception des choses en tout cas. Je pense que la vérité est plus complexe. Depuis longtemps la France a pour tradition d’apprécier les écrivains américains marginalisés, depuis Hemingway jusqu’à Henry Miller. Beaucoup d’écrivains rejetés aux USA trouvent un public en France, je ne sais pas pourquoi.

C’est la même chose au cinéma, avec Woody Allen ?

Oh oui, absolument. Je pense que c’est une longue tradition. Je parlais à une de mes éditrices américaines juste avant de venir ici. Je lui disais que j’allais partir en France pour quelques mois, que j’avais été sélectionné comme auteur en résidence, et elle m’a dit : « Tu sais, chez HarperCollins on dit toujours : si ça marche en France, ça ne marche pas aux Etats-Unis, et si ça marche aux Etats-Unis, ça ne marche pas en France. » Je ne sais pas si c’est vrai, mais c’était sa vision des choses.

Avez-vous l’impression que les Américains ne vous apprécient pas ?

Oh oui.

Pourquoi ? Parce que votre littérature est considérée comme trop « sale », pas assez « politiquement correcte ? »

J’aimerais vraiment le savoir. Vous savez, j’y réfléchis maintenant depuis des années, mais je ne suis toujours pas sûr de la réponse. Vraiment. Mais cela vient peut-être du type d’écrivains que les Français ont toujours apprécié, comme par exemple Henry Miller ou Charles Buchowski. Je dirais qu’on m’associe peut-être à cette tradition.

Est-ce vraiment important pour vous d’être dans la lignée de cette tradition du « dirty realism » ?

Non. Pas pour moi. Je cherche juste un public, c’est tout. Quel que soit le public, je suis content. Je crois que ces étiquettes sont en fait inexactes : on veut juste vous mettre dans des cases coûte que coûte. Je ne suis pas sûr que ce soit pertinent.

Donc vous n’avez pas l’impression d’appartenir à la « confrérie » de Buchowski et John Fante ?

Je crois qu’une partie de mon œuvre est dans la même veine que celle de ces écrivains. Oui, certains de mes textes font probablement partie de cette tradition. Mais vous savez, d’autres types d’auteurs ont trouvé un public en France, comme David Goodis, je ne sais pas si vous en avez entendu parler ? Ou Jim Thompson. Ce sont des auteurs de romans noirs dont le plus grand public a été la France. Leurs romans ont été adaptés au cinéma par des cinéastes français. A mon sens, il n’y a pas une seule tradition, mais plusieurs genres que les Français apprécient particulièrement.

New York est un personnage important de vos livres ?

Oui, notamment dans The Suicide, le livre qui est actuellement traduit [par le groupe ARIEL]. Et dans d’autres de mes écrits. Mes intrigues se passent un peu partout : New York, le New Jersey, mais aussi d’autres lieux comme la Californie, le Midwest, tous les endroits où j’ai passé un certain temps et qui me donnent une atmosphère pour un de mes textes. Mais New York, j’y suis tout le temps, donc c’est un lieu capital dans mes intrigues.

Quel rôle joue l’écriture dans votre vie ? Car je sais que vous faites aussi de la musique.

C’est une partie essentielle de ma vie. Dès que je me lève, je commence à travailler sur un de mes textes en cours. Et pour le reste… Je considère que j’écris de la musique, donc c’est le même processus. Je le fais juste à d’autres moments de la journée.

Ecrire un texte et écrire de la musique ?

Oui, pour moi c’est la même chose. Vraiment. Mais il s’agit de différentes formes d’expression.

Vous devez produire des sons ?

Oui.

Du sens et des sons ?

Oui ! Les deux. Mais c’est la même chose, vraiment.

Vous faites la même chose dans les deux cas ?

Oui. Le produit fini est évidemment différent, mais l’écriture, la composition est la même. Une partie différente du cerveau se met en action à chaque fois. J’ai vite compris que j’avais besoin de tout ça pour garder ma vitalité. Si je fais toujours la même chose, je deviens un peu… C’est un bon moyen de garder un équilibre psychologique.

Vous avez besoin d’un mélange des deux ?

Oui, c’est un peu ça. Je ne sais pas si c’est un mélange, mais j’ai besoin d’exprimer ma créativité dans plusieurs domaines pour garder ma créativité.

Vous y arrivez ?

J’espère. Parfois en tout cas.

Au moins la moitié du temps ?

Oui, c’est ça.

Donc cela signifie que quand vous écrivez, vous lisez à haute voix vos textes pour écouter la mélodie ?

Non, non. Je dactylographie, et avant j’écrivais. Mais parfois oui, c’est vrai, je lis à haute voix des passages pour voir si cela fait sens. Ou si j’ai du mal avec un paragraphe, il m’arrive parfois de le lire à haute voix pour voir si ça rend bien. Donc si, parfois ça se traduit en sons. Un de mes romans, No Strings, a été transcrit en livre audio et c’était intéressant d’entendre quelqu’un d’autre le lire.

Je crois que c’est bon pour moi, mais quelques mots en conclusion : parlez-vous français ?

Euh… « Pauvre petit »… Mon français n’est pas bon. Dès que j’essaie de faire une phrase longue, c’est catastrophique. Je sais juste dire « décaféiné café chaud au lait ». Oui, c’est ça, les choses importantes… Heureusement tout le monde en France parle un peu l’anglais, donc je m’en sors. Vous savez, pour être franc, je sais que je devrais travailler mon français plus que ça, mais je suis si occupé qu’en fin de journée, quand je veux m’y mettre, mon cerveau est fatigué, et c’est la dernière chose que j’ai envie de faire.

Mais les Français ne sont pas très bons en anglais ?

Oh, meilleurs que les Américains en français. Vraiment. Le problème des Etats-Unis, c’est qu’on n’a pas de frontières. On entend de l’espagnol, mais c’est tout. Si, à NY on entend du mandarin, du roumain, de tout, mais on ne les parle pas. En Europe on parle italien, allemand…On n’a pas ça aux Etats-Unis, donc…

Merci beaucoup.

Merci à vous !

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Interview de Mark SaFranko à la Chaouée (Metz) pour France 3 Grand Est