Des lycéens de Pont-à-Mousson interviewent Jan Carson

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Jan Carson

Le 17 octobre 2022, Jan Carson s'est prêtée au jeu de l'interview par des lycéens du lycée Marquette de Pont-à-Mousson.

Comment avez-vous commencé à écrire ?

J’ai grandi dans une famille très protestante. Je n’avais pas le droit de boire, de danser ou même d’aller au cinéma. Mais lorsque ma mère allait faire les courses, elle me déposait à la bibliothèque qui était à côté du supermarché. J’ai commencé à lire, lire, lire, et puis la bibliothécaire m’a montré le rayon « romans policiers », et c’est ainsi que j’ai découvert Agatha Christie et Stephen King. Je suis devenue écrivaine lorsque j’étais très jeune, mais je n’étais pas encore assez courageuse. À 25 ans, j’ai déménagé à Portland, dans l’Oregon, aux États-Unis, et, comme personne ne me connaissait, j’ai commencé à dire aux gens que j’étais écrivaine et que j’étais plutôt connue en Irlande du Nord, ce qui était totalement faux. Ils m’ont alors demandé s’ils pouvaient lire mes textes, ce qui m’a forcée à commencer à écrire.

Quel•le est votre auteur•trice préféré•e ?

L’auteur mort que je préfère est Flannery O’Connor (devant Emily Brontë et son roman Wuthering Heights). Mais lorsqu’il s’agit d’auteurs vivants, j’ai une préférence pour George Saunders, qui écrit des nouvelles et a gagné le Booker Prize. Je l’ai rencontré à deux reprises et, je dois l’admettre, j’étais une vraie fangirl. Je pense que je lui ai un peu fait peur, d’ailleurs.

Avez-vous déjà souffert du syndrome de la page blanche ?

Oui, en 2015, après avoir publié Children’s Children. Plutôt que de m’accorder une pause, je me suis mise au défi d’écrire une histoire par jour pendant un an. L’idée était de les écrire au dos de cartes postales et de les envoyer à des gens aux quatre coins du monde. La première semaine a été horrible, mais ensuite j’ai commencé à trouver de l’inspiration littéralement partout autour de moi.

Écrire, est-ce une sorte de thérapie ?

L’écriture, c’est un peu la façon dont je vois et comprends le monde. J’écris deux heures par jour, et cela me permet de comprendre ce qu’il se passe dans ma vie, parce que les choses font davantage sens lorsqu'elles sont écrites. Lorsque mon père est décédé il y a un an, je me suis dit : « Comment vais-je intégrer cela dans une de mes histoires ? » Cela m’a beaucoup aidée. J’étais triste, bien sûr, mais la première chose que j’avais envie de faire était d’écrire, de coucher sur papier mes émotions et mes sentiments. Puis, j’ai partagé mes écrits avec d’autres personnes qui avaient perdu un de leurs proches, et cela les a aussi aidés.

Écrivez-vous un livre en ce moment ?

Je suis en France pendant 4 mois pour pouvoir écrire un livre. J’ai commencé à rédiger les deux premiers chapitres et, généralement, quand on en est à ce stade de l’écriture d’un livre, on considère ce dernier comme le meilleur livre que l’on n’a jamais écrit. Ensuite, quand on arrive à la moitié de la rédaction, on déteste ce qu’on a écrit. L’écriture d’un premier jet prend généralement 3 mois, puis on passe environ un an à le rendre correct. Souvenez-vous d’une chose : le premier jet que vous écrivez n’est pas une version finale. Le dur labeur commence lors de l’étape de correction et d’amélioration. J’ai réécrit The Raptures quinze fois avant de le publier. Le premier jet est toujours catastrophique, mais il faut persévérer et prendre plaisir à écrire.

Quand avez-vous réalisé que vous étiez écrivaine ?

Je me suis réellement sentie écrivaine lorsque j’ai vu un de mes livres dans une librairie. Le syndrome de l’imposteur est plutôt commun chez les écrivains.

Quelle a été votre réaction quand vous avez reçu vos prix littéraires ?

Le prix le plus important que j’aie reçu est le prix de littérature de l’Union Européenne. Je l’ai remporté au moment du Brexit, donc c’était un moment assez touchant pour moi. J’ai un petit secret : à chaque fois que je gagne un prix, je m’achète une nouvelle paire de baskets.

Écriviez-vous des nouvelles quand vous étiez petite ?

Non, j’écrivais des poèmes absolument horribles. J’ai remis la main dessus il y a cinq ans, et il s’agissait surtout de poèmes à propos de garçons dont j’étais amoureuse. En revanche, je tenais un cahier dans lequel je copiais les poèmes que j’avais particulièrement appréciés pendant mes cours d’anglais, et certains poètes dont j’avais recopié les écrits sont maintenant mes amis.

Pensez-vous que nous devons nous souvenir de la période des Troubles et de toutes les personnes qui sont décédées, ou devons-nous oublier et nous concentrer sur le rêve d'une nouvelle Irlande ?

Chaque fois que vous vivez dans un endroit où quelque chose de terrible s'est produit, il est facile de rester focalisé sur le passé. Nous devons connaître notre histoire pour pouvoir en tirer des leçons ; pas nécessairement pour honorer les morts, mais plutôt parce que, dans le cas contraire, nous continuerions à répéter les erreurs qui ont été commises dans le passé. Mais il faut aussi penser à l'avenir : l’Irlande du Nord est l'un des endroits les plus passionnants au monde en matière de cinéma, de musique et de théâtre, et les jeunes qui y vivent font partie des personnes les plus courageuses et les plus brillantes au monde.

Quelqu’un vous a-t-il particulièrement encouragé à devenir écrivaine ?

J’ai plutôt été découragée par de nombreuses personnes, mais cela m’a rendue encore plus déterminée. En tant que femme, cela peut s’avérer compliqué de faire entendre sa voix : assurez-vous que personne n’essaiera de vous arrêter et de vous décourager.

Si vous pouviez dire quelque chose à la Jan que vous étiez enfant, que lui diriez-vous ?

Je lui dirais : « Un jour, tu finiras par rencontrer des gens comme toi ». Je n’avais pas beaucoup d’amis qui partageaient mes centres d’intérêt et qui voyaient le monde de la même façon que moi. Cela m’a pris du temps de trouver des gens comme moi, mais j’ai vraiment les meilleurs amis au monde. Ce que je dirais à la Jan que j’étais enfant, ce serait : « Persévère ».

Travaillez-vous en collaboration avec d’autres personnes ?

Oui et non. Certains écrivains ont un partenaire d’écriture avec qui ils partagent  leurs écrits et qui leur font des retours sur ces derniers. Je vous encourage vivement à trouver quelqu’un comme cela, pour travailler avec vous. Mais, personnellement, je n’aime pas vraiment cela. Je garde souvent mes écrits pour moi. Sinon, je travaille avec Kate (mon agent), Emily (qui vend les droits de mes livres dans le cadre d’adaptations cinématographiques, par exemple), mais Alice, mon éditrice, est vraiment la personne la plus importante à mes yeux. Cela fait maintenant 17 ans que j’écris, et je ne sais toujours pas comment me servir des virgules. Je ne pourrais pas vivre sans Alice.

Vos histoires sont-elles inspirées de faits réels ?

Mes personnages sont généralement inspirés de personnes que je rencontre dans la vie de tous les jours. J'écoute généralement les conversations des gens dans le bus et dans la rue, à la recherche d'idées. Mises bout à bout, les différentes facettes de ces personnes forment des personnages.

Quel est le livre que vous avez préféré écrire et pourquoi ?

The Raptures. Quand j’ai commencé à écrire il y a 17 ans, c’était cette histoire que je voulais rédiger. Il m'a fallu 17 ans pour avoir le courage de le faire. Je voulais parler du monde dans lequel j’ai grandi, au sein d’une famille aussi étrange que la mienne. C’est une histoire qui devait être écrite. Mon deuxième livre préféré, c’est celui que je suis en train d’écrire en ce moment.

Quelles différences constatez-vous entre les Français et les Irlandais ?

Les Français lisent davantage et sont probablement un peu plus intelligents que les Irlandais, qui ne lisent pas beaucoup. Je dirais que la plus grosse différence est que les Irlandais sont très décontractés, alors que les Français sont plus sérieux et plus sophistiqués.

Quel conseil pourriez-vous donner à quelqu’un qui souhaiterait faire de l’écriture son métier ?

Lisez autant que possible, et pas nécessairement uniquement le genre de livres que vous aimez. Lisez toutes sortes de livres : des biographies, de la science-fiction, de la poésie, de la littérature jeunesse. J’ai pris la décision de me débarrasser de ma télé, et maintenant je lis 300 livres par an. Les téléphones sont une vraie catastrophe : arrêtez d’avoir les yeux fixés sur vos écrans ; à la place, ayez toujours un livre dans votre sac.

Interview traduite de l'anglais par Doriane Nemes, M2 Mondes Anglophones

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